L’agitation de l’ordre mondial
Fondé sur un travail de recherche original mené avec Global South Insights, le dossier n° 72 analyse les changements structurels en cours dans le monde et le nouvel état d’esprit dans le Sud global.

En janvier 2023, un journaliste de Yomiuri Shimbun a demandé à l’attachée de presse du ministère des Affaires étrangères du Japon, Hikariko Ono, une définition de l’expression « Sud global ». Elle a alors répondu : « Le gouvernement du Japon n’a pas de définition précise de l’expression Sud global, [mais] je considère qu’en général, elle se réfère aux pays émergents et en développement ».1
Le gouvernement japonais s’est employé à trouver une analyse plus précise du Sud global, qu’il a cherché à présenter dans le Livre bleu diplomatique 2023. Dans une longue section sur l’idée des pays du Sud, les fonctionnaires japonais reconnaissent que l’ancien tiers monde semble avoir adopté un nouvel état d’esprit. Lorsque les pays du Nord global, menés par les États-Unis, ont exigé l’adoption par les pays du Sud global de la position de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sur la guerre en Ukraine (visant à isoler la Russie), ces derniers ont refusé, accusant l’Occident de pratiquer deux poids, deux mesures, puisqu’il justifie sa propre guerre tout en contestant les guerres des autres. À la lumière de ce nouvel état d’esprit dans le Sud global, le ministère des Affaires étrangères du Japon a exprimé la nécessité d’une nouvelle attitude, avec une « approche inclusive qui surmonte les différences de valeurs et d’intérêts ». Comme l’a écrit le ministre des Affaires étrangères japonais, Yoshimasa Hayashi, dans la préface du Livre bleu, « le monde se trouve maintenant à un tournant de l’Histoire ».2
Le fait que peu d’États du Sud global aient accepté de participer à l’isolement de la Russie, refusant, de fait, d’appuyer les résolutions occidentales à l’Assemblée générale des Nations Unies, est une illustration de ce tournant. Tous les États ayant refusé de rejoindre l’Occident dans sa croisade contre la Russie ne sont pas « anti-occidentaux » au sens politique ; beaucoup d’entre eux sont plutôt mus par des considérations pratiques, comme les prix de l’énergie moins chers de la Russie. Soit par lassitude de subir des pressions occidentales, soit parce qu’ils voient des opportunités économiques dans leur relation avec la Russie, des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine refusent de plus en plus de céder à la pression exercée par Washington pour qu’ils rompent leurs liens avec la Russie. C’est ce refus et cet évitement qui ont amené le président français Emmanuel Macron à admettre qu’il était « très impressionné par le recul de la confiance du Sud global [dans l’Occident] ».3
Dans un panel de débat le 18 février 2023 à la Conférence de Munich sur la sécurité, trois dirigeants d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie ont exposé les causes de leur mécontentement face à la guerre en Ukraine et la campagne de pression pour qu’ils rompent leurs liens avec la Russie. Comme l’a dit la première ministre de la Namibie Saara Kuugongelwa-Amadhila : « Nous défendons une résolution pacifique du conflit [en Ukraine] de sorte que le monde entier et toutes les ressources mondiales puissent être consacrées à l’amélioration des conditions de la population dans le monde, au lieu d’être dépensées pour acquérir des armes, tuer des personnes, et engendrer finalement des hostilités ». Interrogée sur la raison de l’abstention de la Namibie lors du vote sur la guerre aux Nations Unies, Kuugongelwa-Amadhila a dit : « Notre attention se porte sur la résolution du problème… pas sur la culpabilisation des autres ». L’argent utilisé pour acheter des armes, a-t-elle ajouté, « serait mieux employé pour promouvoir le développement en Ukraine, en Afrique, en Asie, ailleurs, même en Europe, où beaucoup de gens vivent dans le dénuement ».4
Une série de rapports publiés par les principales entreprises financières occidentales fait écho à l’anxiété de Macron concernant l’érosion de la crédibilité de l’Occident dans le Sud global. BlackRock remarque que nous entrons dans « un monde fragmenté avec des blocs concurrents », tandis que Credit Suisse souligne « les fractures profondes et persistantes » qui se sont ouvertes dans l’ordre mondial.5 L’analyse que fait Credit Suisse de ces « fractures » les décrit précisément : « L’Ouest global (les pays développés occidentaux et leurs alliés) se sont éloignés de l’Est global (la Chine, la Russie et leurs alliés) en termes d’intérêts stratégiques centraux, tandis que le Sud global (le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, et la plupart des pays en développement) se réorganise pour poursuivre ses propres intérêts ».6
Afin de comprendre ces changements majeurs qui ont lieu dans le monde et la perplexité du Nord global face au nouvel état d’esprit dans le Sud global, le Tricontinental, Institut de recherche sociale a produit le dossier n° 72, L’agitation de l’ordre mondial, fondé sur le travail de recherche mené avec Global South Insights et le document de travail que nous avons produit de manière collaborative, Hyper-impérialisme : une nouvelle étape dangereuse et décadente (janvier 2024).
Des expressions Sud global et Nord global
Les Nations Unies sont composées de 49 pays du Nord global et de 145 pays du Sud global. Dans ce dossier, nous utilisons les termes « aires » pour décrire le Nord global et « groupes » pour décrire le Sud global, selon les représentations dans les figures ci-dessous. Les aires du Nord global sont organisés autour des États-Unis et de leurs alliés les plus proches au centre, où chaque aire qui entoure ce centre, ou noyau dur, est composée d’États du Nord global qui, pour différentes raisons, ne font pas partie du noyau dur. Ces aires ne font état d’aucune fragmentation dans le Nord global, qui opère en tant que bloc. Le Sud global, quant à lui, ne constitue pas un bloc, mais un projet émergent formé par différents groupes, chacun avec sa propre logique, comme nous allons l’expliquer ci-dessous.

Le Nord global
La guerre en Ukraine a mis en lumière et accéléré certains changements géopolitiques. D’un côté, un groupe de pays sous la direction des États-Unis a réagi à l’entrée des forces russes en Ukraine en tant que bloc militaire, économique et politique intégré. Ces pays participent à certaines plateformes, dont les plus significatives sont l’OTAN et le Groupe des sept (G7). Ceci reflète une dynamique qui est en place depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, dans laquelle l’OTAN et le G7 ont agi ensemble pour promouvoir un programme largement défini par les États-Unis, l’Europe et le Japon étant des puissances secondaires dans cette alliance.
Au cours des dernières décennies, les contradictions entre les pays de l’OTAN et du G7 ont été gommées et reléguées en arrière-plan. Malgré des différences secondaires entre les positions et les capacités militaires, économiques et politiques de ces pays (comme le désaccord entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la France concernant l’exportation de sous-marins à l’Australie en 2021), le Nord global peut être compris comme un bloc recherchant l’unité autour de questions centrales.7
L’intellectuel égyptien Samir Amin évoquait en 1980 la « consolidation graduelle de la zone centrale du système capitaliste mondial (Europe, Amérique du Nord, Australie) ». Peu après, Amin a commencé à utiliser le terme Triade pour se référer à cette « zone centrale » de puissances impérialistes ayant émergé après la Seconde Guerre mondiale.8 D’après lui, les classes dominantes en Europe et au Japon avaient subordonné leurs propres intérêts nationaux à ce que le gouvernement des États-Unis avait commencé à appeler leur « intérêt commun ». Nous appuyant sur la conception d’Amin, nous avons organisé la Triade en quatre aires, avec des modifications qui illustrent les tendances actuelles dans les relations internationales et régionales.
Ces quatre aires sont :
- Le noyau dur des États coloniaux anglo-américains impérialistes menés par les États-Unis, composé de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis (appartenant tous au Conseil de surveillance et d’examen des activités de renseignement du Groupe des cinq [Five Eyes Intelligence Oversight and Review Council, en anglais], un réseau d’agences de renseignement liées par des accords confidentiels), ainsi que d’Israël. Ces pays, s’appuyant sur des formes de suprématie blanche, sont les plus avancés dans les domaines militaire, économique et politique, les États-Unis exerçant une domination sur le groupe.
- L’aire suivante est composée de neuf puissances impérialistes du noyau européen : la Belgique, le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et la Suède. Tous ces pays sont membres du réseau d’espionnage du Groupe des quatorze ([Fourteen Eyes, en anglais] formellement appelé SIGINT Seniors Europe), et tous sont membres de l’OTAN (l’adhésion de la Suède étant pratiquement garantie). Ces pays européens puissants se subordonnent néanmoins aux intérêts du noyau dur, opérant quasiment comme des États vassaux. Prenons le cas de l’Allemagne, qui, bien qu’ayant l’une des économies les plus importantes au monde et dominant l’Union européenne, a tout de même renoncé à sa capacité à protéger ses citoyens depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022 afin de ne pas mettre à mal l’hégémonie étatsunienne sur la politique extérieure européenne. Comme l’a décrit l’économiste Michael Hudson, c’est « la troisième fois en un siècle que les États-Unis sont vainqueurs de l’Allemagne ».9
- La troisième aire est composée du Japon et de puissances européennes secondaires, comme l’Autriche, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, le Portugal et la Suisse. Bien que loyaux envers les États-Unis, ces pays n’ont pas autant d’influence sur l’ordre mondial que les puissances impérialistes européennes du fait de leurs capacités militaires, économiques et politiques. Certains d’entre eux, comme le Portugal, la Finlande et l’Islande, font partie de l’OTAN, mais sont moins intégrés à la stratégie militaire étatsunienne. Dans le cas du Portugal, par exemple, bien qu’étant une ancienne puissance coloniale, son PIB relativement faible est un facteur d’exclusion de l’aire du noyau européen.
- La quatrième aire périphérique est composée de dix-neuf pays de l’ancien bloc d’Europe de l’Est. Ces pays, qui n’ont pas été des puissances coloniales, ont été attirés dans le camp impérialiste pendant la période post-guerre froide principalement à travers la subordination économique et avec l’expansion vers l’Est de l’OTAN. Certains de ces pays sont gouvernés par des régimes de droite favorables à l’OTAN (c’est-à-dire la Pologne, l’Ukraine et l’Estonie), qui jouent un rôle de première ligne dans les efforts occidentaux de contention de la Russie. D’autres cherchent à garder leurs distances avec l’OTAN (comme la Serbie), bien que la pression occidentale ne leur laisse souvent que peu de choix.
En 1945, les États-Unis ont commencé à consolider leur hégémonie sur les pays du Nord global à travers trois axes majeurs :
- La domination militaire des États-Unis sur l’Europe grâce à l’OTAN et le déploiement de bases militaires étatsuniennes dans les forces de l’Axe vaincues (l’Allemagne, l’Italie et le Japon).
- L’intégration économique du Japon, de l’Europe occidentale et des États coloniaux anglo-américains avec les États-Unis et leur dépendance à ces derniers. Ceci a débuté avec le Plan Marshall (1948) en Europe et l’occupation militaire initiale du Japon (1945-1952).
- La subordination politique des élites d’Europe, du Japon et des États coloniaux blancs à la structure élitiste étatsunienne en sélectionnant quels partis politiques pourraient accéder au pouvoir. Ceci a été accompli à travers la création d’une élite mondiale favorable aux États-Unis en ouvrant par exemple les universités étatsuniennes aux étudiants d’élite de ces parties du monde et en formant un ensemble de réseaux (comme le groupe Bilderberg en 1954) qui cherchent à créer une compréhension commune du monde façonnée par les États-Unis.10
Outre la subordination du Nord global aux États-Unis selon ces trois axes, dont la réussite a supposé de nombreux efforts et luttes, trois autres facteurs sont essentiels pour comprendre à la fois le concept de Nord global et la logique des quatre aires entre lesquelles nous avons divisé ces pays.
1. Une histoire commune de brutalité. L’expression Nord global n’est pas un terme géographique neutre. De fait, il n’est décidément pas géographique, étant donnée l’inclusion de pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans le noyau dur. L’expression Nord global est plutôt le synonyme d’autres termes comme Occident et pays avancés. Il s’agit là de dénominations polies pour l’expression adéquate : le bloc impérialiste. Il convient de remarquer que la plupart de ces pays – que ce soit les États impérialistes centraux (comme le Royaume-Uni et les États-Unis), le noyau européen (comme l’Allemagne et l’Italie), ou les puissances européennes secondaires (comme le Portugal et l’Autriche) – ont façonné le monde moderne à travers une histoire partagée de violence qui s’est ouverte avec le commerce triangulaire d’esclaves et s’est poursuivie par l’utilisation de bombes nucléaires contre les civils à Hiroshima et à Nagasaki, et encore le génocide en cours des Palestiniens. Il n’existe pas de décompte exhaustif des centaines de millions de personnes assassinées par le colonialisme.11
Le détournement de la richesse des régions colonisées du monde vers les puissances coloniales constitue une caractéristique centrale de cette violence. Ce détournement a non seulement rempli les coffres de ces puissances et payé pour l’infrastructure opulente qui existe encore aujourd’hui ; mais il a aussi modelé le système néocolonial qui continue à piller la richesse des États colonisés bien après le terme formel du colonialisme.
2. Le détournement de la richesse du Sud vers le Nord. Bien que ne représentant que 14,2 % de la population mondiale, les 49 pays du Nord global concentrent 40,6 % du produit intérieur brut du monde, calculé en parité de pouvoir d’achat (PPA).12 En contrôlant, grâce à l’héritage du colonialisme, le capital et la production de matières premières, la propriété intellectuelle, et la science et la technologie, les États du Nord global continuent à s’assurer l’accumulation d’une plus grande part de la richesse de la planète. Les près de 45 milliards de dollars détournés par les Britanniques en Inde entre 1765 et 1938, ce qui représente presque l’entièreté de la période du régime britannique dans le pays (1757-1947), sont un exemple du faramineux pillage colonial de richesse. Cette richesse a alimenté le système bancaire britannique, a permis l’accumulation de capital pour l’industrialisation britannique, et a créé des avantages intégrés qui durent depuis des générations.13 Pendant ce temps, l’espérance de vie moyenne a chuté de 20 % entre 1870 et 1921 en Inde, et le taux d’alphabétisation lorsque le pays a gagné son indépendance en 1947, après trois-cents ans de colonialisme, n’était que de 12,2 %.14
Un article récent montre que, s’appuyant sur un échange inégal, 152 milliards de dollars ont été pillés dans le Sud global entre 1960 et 2017. Les auteurs soulignent que, rien qu’en 2017, le Nord global s’est approprié des marchandises pour une valeur de 2,2 milliards de dollars dans le Sud global, « suffisamment pour éliminer l’extrême pauvreté quinze fois ».15 Imaginez si nous calculions le détournement total de richesse depuis les (anciennes) colonies et l’impact social que cela a eu sur leurs systèmes de santé et d’éducation.
3. Une condition commune de militarisation et de renseignement. Le rôle des réseaux de renseignement est fréquemment sous-estimé dans l’évaluation de la puissance du Nord global. La catégorie « renseignement », ou « intelligence », n’est plus cantonnée à l’espionnage à l’ancienne, mais inclut désormais la surveillance et la guerre numériques (y compris les cyber-attaques contre l’infrastructure clé). Chacun des pays du Nord global participe à une coordination militaire de haut niveau et au partage de renseignement, menés par le noyau dur. Plus un pays est intégré au noyau dur, plus le niveau de synchronisation du renseignement et de la coordination militaire est élevé. Ceci ne signifie pas que les pays dans les aires périphériques ne sont intégrés aux systèmes du noyau dur, mais uniquement qu’ils ne sont pas invités dans le sanctuaire interne des systèmes d’information et d’armement. La structure des quatre aires est visible dans les réseaux de renseignement mondiaux, comme l’illustre la distinction entre les réseaux de renseignement des Groupes des cinq, des neuf et des quatorze [Five Eyes, Nine Eyes et Fourteen Eyes, respectivement, en anglais]. Le réseau de renseignement du Groupe des cinq (Five Eyes, composé de cinq des six pays du noyau dur, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis, Israël constituant de facto leur « sixième œil ») travaille étroitement avec les pays du Groupe des neuf (Nine Eyes) tout en maintenant une distinction avec eux (le Danemark, la France, les Pays-Bas et la Norvège, ajoutés aux pays du Groupe des cinq [Five Eyes]), puis enfin avec les pays du Groupe des quatorze (Fourteen Eyes, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède, ajoutés aux pays du Groupe des neuf [Nine Eyes]), qui ont accès à un niveau de plus en plus épuré de partage d’information selon leur distance du noyau dur.
Le Sud global
Au contraire du Nord global, le Sud global ne constitue pas un bloc intégré. Les pays du Sud global ont des réalités économiques, des capacités militaires, des systèmes politiques et des gouvernements différents, souvent avec des traditions politiques contradictoires. Bien que nombre de ces pays partagent certaines caractéristiques et intérêts, le concept de Sud global n’est pas défini par leurs points communs, mais par un autre ensemble de facteurs. Cependant, ces pays ont en commun les éléments suivants :
- Ce sont d’anciennes colonies et semi-colonies qui ont été soumises à cinq-cents ans d’humiliation.
- Dans certains cas, ils ont engagé et poursuivent toujours des projets socialistes, pour lesquels ils sont punis par le bloc impérialiste.
- Ils sont, pour un éventail de raisons, victimes de l’interventionnisme impérialiste à travers l’utilisation de la force extra-économique, comme les coups d’État et les sanctions.
- Ils se sont souvent rassemblés autour de divers intérêts communs, comme pour exiger l’allègement de la dette, établir leur droit à la construction d’une démocratie économique, et accéder à des mesures sanitaires mondiales, y compris aux vaccins durant la pandémie de COVID-19.
Malgré ces points communs, il serait excessif de parler ici de bloc, comme nous l’avons fait pour le Nord global. Nous estimons plutôt que le Sud global se compose de six groupes avec des relations interconnectées (ainsi que des conflits antagonistes entre certains d’entre eux). Ces groupes sont :

- États socialistes indépendants. Ce groupe comprend six pays (la Chine, le Viêt Nam, le Venezuela, le Laos, la République Populaire Démocratique de Corée, et Cuba) qui restent engagés dans la trajectoire socialiste, avec tous ses va-et-vient complexes. La Chine, un membre clé de ce groupe, possède le plus grand PIB (en PPA) au monde et une économie qui est presque trois fois supérieure à celle de l’Inde (un pays avec une population comparable).16 Le peuple chinois a accompli la plus grande prouesse des temps modernes en termes de développement humain en tirant 800 millions de personnes de la pauvreté.17
- États en forte recherche de souveraineté. Ce groupe est défini par les États qui ont, plus récemment et malgré les nombreuses différences internes entre eux, pris des mesures pour affirmer leur souveraineté sans pour autant établir un processus socialiste formel. Beaucoup de ces États, comme l’Érythrée et le Mali, appartiennent au Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, formé en juillet 2021 sous la conduite du gouvernement vénézuélien. En représailles, l’Occident a puni cette position en déployant une guerre hybride extrême.18 La Russie, qui constitue un cas particulier dans ce groupe, est une cible privilégiée des tentatives de changement de régime et des mesures de coercition qui cherchent à la démembrer et la dénucléariser.
- États historiquement progressistes. Les sociétés dans ces pays ont été façonnées par des mouvements de libération nationale, comme la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, et par des mouvements d’opposition aux dictatures, comme au Brésil ; dont l’impact est profondément enraciné dans leurs cultures politiques. Malgré les limitations des gouvernements dans ce groupe, leurs contradictions internes sévères, et les difficultés d’émancipation du système capitaliste mondial, ils ne cèdent pas face à l’interférence étatsunienne. Néanmoins, aucun de ces pays n’a connu de révolution socialiste qui pourrait avoir affaibli leur bourgeoisie nationale grâce à une réforme foncière substantielle ou à la socialisation de secteurs avancés de l’économie, par exemple.
- Nouveaux États non-alignés. Ces pays, avec des PIB croissants, sont en train de dépasser leur dépendance envers l’Occident. La taille et l’échelle de leurs économies leur apportent une certaine indépendance pour poursuivre leurs intérêts économiques nationaux sans progresser activement en termes de souveraineté politique. Ils ont réalisé que la confiscation des réserves étrangères et l’utilisation de sanctions contre au moins 31,5 % de la population mondiale par les États-Unis étaient devenues des menaces sévères contre la majorité mondiale, et que ceux-ci n’étaient plus ni un marché de dernier recours, ni un fournisseur principal d’investissement direct étranger.19
- Le Sud global divers. Ce groupe inclut 111 pays qui ne présentent pas d’unité politique, économique ou militaire claire. Leur degré d’alignement avec le Nord global est variable.
- Colonies militaires des États-Unis. Les deux pays qui constituent ce groupe, la République de Corée et les Philippines, sont effectivement des colonies militaires des États-Unis, bien que leurs populations luttent contre les limitations de la subordination aux besoins militaires et sécuritaires étatsuniens.
L’ensemble de ces 145 pays (ainsi que deux pays non membres des Nations Unies) représente 85,8 % de la population mondiale et 59,4 % du PIB mondial (en PPA).20 Comme nous le verrons dans la section finale, ces six groupes font partie de projets régionaux et internationaux majeurs (comme l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Union des nations sud-américaines, les BRICS10 et le G77, respectivement) illustrant le nouvel état d’esprit du Sud global, qui se tourne vers le régionalisme et le multilatéralisme et prend ses distances avec la domination singulière façonnée par le bloc impérialiste.
De l’idée des cinq contrôles
L’analyse marxiste de l’impérialisme au cours du siècle dernier a été influencée par les contributions théoriques et pratiques de Vladimir Lénine, ancrées dans l’expérience de la Révolution russe. Dans son ouvrage classique, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine argumentait que dans son stade le plus concurrentiel, le capitalisme progressait pour produire des oligopoles dans d’importants secteurs, comme la finance, et que ces oligopoles s’opposaient les uns aux autres, poussant leurs États vers un conflit autour des marchés dans les colonies et vers des confrontations militaires directes entre eux. La vague de décolonisation formelle qui a commencé après la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, dont l’histoire comprend une étape préalable en Amérique latine dans les années 1800 mais a repris avec la Révolution cubaine (1959), a créé de nouvelles conditions pour l’impérialisme. La retraite territoriale des puissances impérialistes ne s’est en aucun cas traduite par une perte de leur contrôle sur l’économie mondiale. Au contraire, elles ont façonné ce que Kwame Nkrumah appelait le néocolonialisme.
On assiste cependant ces dernières années à la lente érosion du contrôle occidental sur l’économie mondiale et à la délégitimation graduelle de l’ensemble de la structure néocoloniale. Pour mieux comprendre cette érosion, nous avons adopté une méthode mise au point par Samir Amin il y a presque trente ans pour analyser la nature de la puissance impérialiste.21 Amin a estimé que la structure néocoloniale n’avait pas besoin de sociétés transnationales basées en Occident pour posséder la plupart des actifs mondiaux. Il a expliqué que c’était plutôt le contrôle monopolistique de nombreux actifs dans des secteurs clés et l’assurance que le bénéficiaire final de ces actifs était la Triade, ou le Nord global, et ses classes dominantes, qui étaient nécessaires. Amin a identifié cinq formes de contrôle qui constituent le cœur de la structure néocoloniale :
- Contrôle des ressources naturelles
- Contrôle des flux financiers
- Contrôle de la science et la technologie
- Contrôle de la puissance militaire
- Contrôle de l’information
Dans The World Needs a New Socialist Development Theory (juillet 2023), nous avons avancé que le contrôle de l’Occident des ressources naturelles, des flux financiers, et de la science et la technologie était mis au défi par l’émergence des principales économies du Sud global : la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, la Turquie et le Mexique, qui font partie des treize plus grandes économies au monde en termes de PIB (en PPA).22 L’arrachement impressionnant à la pauvreté abjecte de la Chine a été central dans l’affaiblissement de la mainmise du Nord global sur ces trois premiers contrôles.
Deux exagérations de la part des États-Unis et du bloc impérialiste entre le milieu des années 1990 et les années 2010 ont aussi contribué à fragiliser cette emprise:
- Les guerres étatsuniennes, depuis la guerre globale contre le terrorisme jusqu’aux guerres contre l’Afghanistan, l’Irak et la Libye.
- Les abus économiques étatsuniens, depuis le crédit excessif sur le marché immobilier étatsunien jusqu’à la réglementation permissive du système bancaire occidental.
Ces guerres étatsuniennes et la crise économique de 2007-2008 ont ébranlé l’autorité du Nord global sur le système mondial. C’est dans ce contexte que le président russe Vladimir Poutine a dit lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007 que le monde n’avait pas besoin d’« un unique maître ».23 Des doutes importants ont commencé à émerger dans le Sud global concernant le rôle des États-Unis en tant qu’acheteur de dernier recours, garant du système monétaire mondial et stabilisateur politique de l’ordre mondial.
De nouveaux développements en Chine et en Russie, qui ont eu lieu au même moment que ces guerres étatsuniennes et ce chaos dans le système capitaliste mondial, ont amorcé l’accélération de nouveaux changements:
- Chine. DuRrant les dernières années du gouvernement de Hu Jintao (2003-2013), les dirigeants de la Chine ont commencé à réévaluer la dépendance du pays au marché et à la direction politique des États-Unis. La formation des BRICS en 2009 a rendu compte de cette nouvelle attitude. Cette réévaluation s’est ensuite traduite par un nouveau cadre politique sous la conduite de Xi Jinping. Ceci a inclus l’établissement d’alternatives au marché et à la direction étatsuniens, en créant par exemple un marché interne grâce à des investissements de capital à grande échelle, en éradiquant l’extrême pauvreté, et en construisant la Nouvelle route de la soie. En outre, la Chine a commencé à utiliser le processus des BRICS pour encourager la formation de nouveaux systèmes monétaires et de nouvelles élites politiques.
- Russie. Vers la fin des années 2000, le gouvernement russe a amorcé une réparation des dommages causés à son peuple par la destruction de l’Union soviétique. Le gouvernement, mené par Poutine, a tout d’abord commencé à reprendre le secteur de l’énergie aux « oligarques » et à organiser la base de l’économie autour de principes d’autonomie, y compris en retenant le capital dans le pays et en empêchant le transfert des bénéfices vers le système bancaire sous contrôle occidental. Le gouvernement a ensuite initié l’essor du rôle de la Russie dans l’OPEP+ (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) et renforcé son secteur énergétique afin de vendre du pétrole et du gaz naturel à l’Europe, dans un contexte où les guerres du Nord global contre l’Irak et la Libye et la guerre hybride à partir de sanctions contre l’Iran interféraient avec les principales sources d’énergie de l’Europe.
Le magnétisme économique de la Chine et de la Russie, dans le contexte d’une crise économique de long terme dans le Nord global, a amené les pays de l’Union européenne à une plus grande intégration avec l’Eurasie. Ceci a eu lieu à deux niveaux: les pays européens ont commencé à dépendre de manière croissante de l’énergie russe (un tiers des besoins énergétiques de l’Allemagne était couvert par la Russie, par exemple) et de l’investissement et la technologie de la Chine (dix-huit pays de l’Union européenne ont rejoint la Nouvelle route de la soie, y compris l’Italie, la Pologne, le Portugal et la République tchèque).24 L’intégration de l’Europe avec l’Asie a été historiquement logique et nécessaire et, avec l’essor de la Chine, a menacé la structure unipolaire générale du Nord global ainsi que la structure néocoloniale de l’économie mondiale. Incapables de désamorcer cette intégration ni l’essor de la Chine, les États-Unis, avec leurs alliés du Nord global, ont accéléré une guerre hybride contre la Chine et la Russie. Les lignes de front de cette guerre étaient initialement économiques (à travers une guerre commerciale, par exemple), mais se sont rapidement concentrées dans deux zones: l’Ukraine et Taïwan. La guerre en Ukraine a eu deux conséquences importantes sur l’ordre mondial : premièrement, elle a fait augmenter le coût de la nourriture et du combustible sur la planète, et deuxièmement, elle a été accueillie par le refus de nombreux pays en développement de plier face à l’Occident et d’adopter sa position envers la guerre. Ensemble, ces conséquences ont donné lieu à un nouvel état d’esprit dans le monde en développement et à l’émergence d’un nouveau non-alignement.
Cependant, le contrôle du Nord global sur la puissance militaire et l’information n’a pas faibli. À un moment d’apathie économique et de fragilité politique, le Nord global, dirigé par les États-Unis, continue à exercer ce qui reste de son pouvoir avec une grande force et, ce faisant, à mettre en danger l’existence de la planète. Comme le montre notre travail de recherche, les pays du Nord global, et particulièrement les États-Unis, dépensent des sommes significatives de leurs budgets dans le secteur militaire, construisant des systèmes qui menacent tous les aspects de la vie humaine et gâchent l’ingéniosité humaine en l’utilisant pour détruire la vie au lieu de la soutenir.
Le contrôle des armes
Sans la capacité ni la volonté de construire un projet social et politique pour résoudre les dilemmes de l’humanité à l’échelle mondiale, les États-Unis et leur bloc ont plutôt poursuivi une stratégie pour maintenir leur emprise sur la planète. Cette domination a débuté avec l’effondrement de l’Union soviétique et du système des États communistes en Europe de l’Est en 1991, ainsi qu’avec l’affaiblissement du tiers-monde à travers la crise de la dette, qui avait commencé à s’emballer avec le défaut de paiement du Mexique en 1982. Des intellectuels aux États-Unis se sont mis à évoquer cette domination comme si elle allait durer éternellement, assénant l’idée de la « fin de l’Histoire » face à toute remise en cause de l’ordre étatsunien. Néanmoins, des failles ont commencé à apparaître dans ce récit lorsque le règne du G7, avec les États-Unis à sa tête, a été profondément ébranlé par ses excès militaires dans la guerre globale contre le terrorisme (particulièrement l’invasion illégale de l’Irak en 2003) et par la crise économique mondiale de 2007-2008 (déclenchée par l’effondrement des marchés immobiliers occidentaux).
Les États-Unis et leurs alliés ont déployé tous les efforts possibles durant la deuxième décennie du vingt-et-unième siècle pour réaffirmer leur contrôle de la planète. La guerre de l’OTAN contre la Libye en 2011 a envoyé un signal clair de la détermination occidentale, qui a constitué un prélude au débat sur l’utilisation d’un OTAN mondial comme plateforme de progression de l’agression militaire occidentale, depuis la mer de Chine méridionale jusqu’à la Caraïbe. Des sanctions ont cherché à punir quiconque franchirait les limites établies par les États-Unis et leurs alliés, excluant des pays du système financier international et privant ainsi des populations entières de l’accès aux médicaments, aux aliments et à d’autres biens de première nécessité. (Il convient de remarquer que les sanctions, qui ont augmenté de 933 % au cours des vingt dernières années, sont devenues une forme privilégiée d’intervention des États-Unis).25 Enfin, le Fonds monétaire international (FMI) est revenu avec un programme d’austérité renouvelé, qui a même été approfondi pendant la pandémie, forçant des douzaines de pays pauvres à verser plus de fonds à de riches porteurs d’obligations qu’à leurs propres systèmes sanitaires et éducatifs.26
En 2018, les États-Unis ont déclaré la fin de la guerre contre le terrorisme et ont clairement établi dans leur stratégie de défense nationale que leur principal problème était l’essor de la Chine et de la Russie. Le secrétaire d’État à la Défense Jim Mattis a ouvertement évoqué la nécessité de prévenir l’émergence de « rivaux quasi-pairs », c’est-à-dire la Chine et la Russie, et a suggéré que l’entièreté de la panoplie de la puissance étatsunienne soit déployée pour les mettre à genoux.27
Les États-Unis disposent non seulement de centaines de bases militaires qui encerclent l’Eurasie, mais ils comptent aussi sur leurs alliés, depuis l’Allemagne jusqu’au Japon, qui leur fournissent des postes avancés contre la Russie et la Chine. En 2015 et 2019, respectivement, la flotte navale des États-Unis et de leurs alliés a engagé des exercices agressifs de « liberté de navigation » violant l’intégrité territoriale tant de la Chine (dans la mer de Chine méridionale) que de la Russie (principalement dans l’Arctique). Ces manœuvres, de même que l’intervention politique étatsunienne en Ukraine en 2014 et la vente d’armes massive des États-Unis à Taïwan en 2015, ont renforcé la menace contre la souveraineté de la Russie et de la Chine. Les États-Unis se sont alors unilatéralement retirés en 2018 du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), bouleversant le contrôle des armes nucléaires. Ce retrait, ainsi que les objectifs affichés par les États-Unis dans leur stratégie de défense nationale 2018, ont montré qu’ils considéraient l’utilisation d’« armes nucléaires tactiques » contre la Russie et contre la Chine.
Jusqu’ici, les alliés des États-Unis dans la région Asie-Pacifique, comme l’Australie et la République de Corée, ne se sont pas montrés avides d’autoriser des armes nucléaires à portée intermédiaire sur leur territoire, bien que ces armes puissent être positionnées dans des bases étatsuniennes ailleurs, depuis Guam jusqu’à Okinawa. Il est impossible de comprendre l’intervention de la Russie en Ukraine sans analyser cette histoire plus longue de menaces perçues par Moscou. Il n’est pas déraisonnable de craindre que les États-Unis puissent positionner leurs armes nucléaires à portée intermédiaire en Ukraine, que celle-ci rejoigne ou non l’OTAN.28

Pour affirmer leur position de domination sur l’ordre mondial, les États-Unis et leurs alliés ont accru leurs dépenses militaires au-delà de l’entendement. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) a calculé qu’en 2002, les dépenses militaires étatsuniennes étaient d’environ 877 milliards de dollars, soit autour de 39 % des dépenses militaires mondiales estimées.29 Cependant, comme le montre un rapport récent publié dans Monthly Review, ce chiffre est largement sous-estimé : les véritables dépenses militaires des États-Unis sont proches de 1,537 billions de dollars, soit près du double du calcul du SIPRI et des chiffres officiels étatsuniens.30 Si l’on y ajoute les dépenses estimées pour 2022 des autres États de l’OTAN (360 milliards de dollars) et de tous les pays sous domination étatsunienne qui sont leurs alliés militaires sans appartenir à l’OTAN ( 234 milliards de dollars), selon les chiffres officiels, on arrive à un total de 2,13 billions de dollars de dépenses militaires du bloc militaire dirigé par les États-Unis, bien que ce chiffre puisse être bien en-deçà de la réalité. Ce calcul donne 2,87 billions de dollars de dépenses militaires au niveau mondial en 2022. En d’autres termes, le bloc militaire sous domination étatsunienne représente 74,3 % des dépenses militaires mondiales, et les États-Unis ont des dépenses per capita 12,6 fois plus élevées que la moyenne mondiale (Israël, à la deuxième place, dépense 7,2 fois la moyenne mondiale per capita, et les autres puissances impérialistes dépensent deux à trois fois la moyenne mondiale).31

La Chine, quant à elle, représente 10 % des dépenses militaires mondiales (292 milliards de dollars), et ses dépenses militaires per capita sont 22 fois inférieures à celles des États-Unis.32 L’alarmisme concernant les dépenses militaires chinoises n’est pas étayé par les faits. Il est en revanche démontré factuellement que la Chine consacre une part plus importante de sa richesse sociale à l’infrastructure et à l’industrie qu’au gaspillage militaire. Pendant ce temps, d’après le Centre on Budget and Policies Priorities, les États-Unis assignent à peine 252 milliards de dollars à l’éducation, par exemple, mais 1,537 billions de dollars aux dépenses militaires, dont une partie sert à payer pour leurs 902 bases militaires estimées dans le monde.33

La seule zone au monde qui est libre de l’appareil militaire des États-Unis est constituée de grandes sections de l’Eurasie: la Chine, l’Inde, l’Iran et la Russie. Depuis 1992, les États-Unis rêvent de conquérir cette région, y compris par l’usage de la force militaire. En 1997, Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du président étatsunien Jimmy Carter, a prévenu que «potentiellement, le scénario le plus dangereux serait une grande coalition de la Chine, la Russie, et peut-être l’Iran, une coalition ‘anti-hégémonique’ unie non par une idéologie mais par des revendications complémentaires». Brzezinski a écrit que «pour les États-Unis, le trophée géopolitique premier est l’Eurasie », qui, d’après lui, «est donc l’échiquier sur lequel la lutte pour la suprématie mondiale continue à se jouer».34 Pour éviter ce scénario, Brzezinski et d’autres ont averti que les États-Unis devraient essayer de rallier la Chine ou la Russie pour isoler l’autre et ainsi dominer l’«échiquier» eurasien. Cependant, au cours des dernières décennies, les États-Unis ont fait tout le contraire, choisissant plutôt d’exercer une pression à la fois sur la Chine et sur la Russie à travers leur nouvelle guerre froide, qui a, comme Brzezinski l’avait prédit, rapproché ces deux pays dans une alliance bilatérale et multilatérale stratégique. En outre, les données du Service de recherche du Congrès des États-Unis rapportent que les forces armées des États-Unis ont été déployées dans 102 pays entre 1798 et 2023.35 D’après le Military Intervention Project, entre 1776 et 2019, les États-Unis ont mené au moins 392 interventions militaires dans le monde entier. La moitié de ces opérations a eu lieu entre 1950 et 2019, et un quart d’entre elles durant la période suivant la guerre froide.36 Rien qu’en 2022, 317 forces impérialistes ont été déployées dans des pays du Sud global, et 137 dans des pays alliés du Nord global, pour un total de 454 déploiements.37
La meilleure preuve des plans raciaux, politiques, militaires et économiques des puissances occidentales qui se manifestent dans la nouvelle guerre froide est peut-être résumée par une déclaration récente de l’OTAN et de l’UE :
L’OTAN et l’UE jouent des rôles complémentaires, cohérents et se renforçant mutuellement au service de la paix et de la sécurité au niveau international. Nous continuerons de mobiliser toute la gamme des moyens à notre disposition – qu’ils soient politiques, économiques ou militaires – pour favoriser la réalisation de nos objectifs communs, dans l’intérêt de la population de nos pays, soit un milliard de personnes.38
De l’émergence de nouvelles organisations
Lors de la dernière journée du sommet des BRICS à Johannesburg, en Afrique du Sud, en août 2023, les cinq États fondateurs (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) ont accueilli six nouveaux membres : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Bien que le nouveau gouvernement de l’Argentine mené par la droite sous la présidence de Javier Milei ait officiellement renoncé à rejoindre les BRICS le 29 décembre 2023, les dix pays des BRICS représentent désormais 45,5 % de la population mondiale, avec 35,6 % du PIB mondial (en PPA). En comparaison, bien que les États du G7 (le Canada, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis) ne représentent que 10 % de la population mondiale, leur part du PIB mondial (en PPA) est de 30,4 %. Alors que les pays qui forment aujourd’hui les BRICS10 sont responsables de 44 % de la production industrielle mondiale, leurs homologues du G7 ne représentent que 21,6 %.39 Tous les indicateurs disponibles, y compris les récoltes et le volume total de la production de métaux, démontrent la puissance immense des BRICS10 récemment étendus. Celso Amorin, conseiller du gouvernement brésilien et l’un des architectes des BRICS lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères du Brésil, a dit à propos de cette nouvelle avancée que « le monde ne peut plus être prescrit par le G7 ».40

Il ne fait aucun doute que les nations des BRICS10, malgré toutes leurs hiérarchies et leurs défis internes, représentent désormais une plus grande part du PIB mondial que le G7, qui continue à se comporter comme le corps dirigeant du monde. Vingt-trois pays se sont portés candidats avant le sommet en Afrique du Sud (dont sept des treize pays de l’OPEP), et plus de quarante ont fait part de leur intérêt à rejoindre les BRICS10, y compris l’Indonésie, le septième pays le plus important au monde en termes de PIB (en PPA).
Il est important de remarquer que les BRICS10 n’opèrent pas indépendamment des nouvelles formations régionales qui cherchent à établir des plateformes en dehors de l’emprise de l’Occident, comme la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). L’appartenance aux BRICS10 a plutôt le potentiel de renforcer le régionalisme pour les pays déjà impliqués dans ces forums régionaux.
Pourquoi les BRICS ont-ils accueilli un groupe de pays aussi disparate, y compris deux monarchies, en leur sein ? Lorsqu’il a été interrogé sur le caractère des nouveaux États membres, le président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva a déclaré : « Ce n’est pas la personne qui gouverne qui compte, mais l’importance du pays. Nous ne pouvons pas nier l’importance géopolitique de l’Iran et d’autres pays qui rejoindront les BRICS ».41 Ceci illustre le critère selon lequel les pays fondateurs ont pris la décision d’étendre leur alliance.
Au moins trois questions clés sont au cœur de la croissance des BRICS : le contrôle de l’approvisionnement et des routes de l’énergie, le contrôle des systèmes mondiaux de finance et de développement, et le contrôle des institutions pour la paix et la sécurité.
Contrôle de l’approvisionnement et des routes de l’énergie
Les BRICS10 ont maintenant créé un formidable groupe énergétique. L’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont également membres de l’OPEP et, avec la Russie, un membre clé de l’OPEP+, ils représentent actuellement 26,3 millions de barils de pétrole par jour, soit à peine moins de 30 % de la production quotidienne mondiale de pétrole.42 C’est le rôle joué par la Chine dans le passage d’un accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite en avril qui a permis à ces deux pays producteurs de pétrole de rejoindre les BRICS. L’Égypte, qui a aussi rejoint les BRICS10, bien que n’étant pas membre de l’OPEP, n’en demeure pas moins l’un des principaux producteurs de pétrole de l’Afrique, dont la part représente plus d’un quart de la production mondiale de pétrole.43 Ce n’est pas seulement la production de pétrole qui est ici en jeu, mais bien l’établissement de nouvelles routes mondiales de l’énergie.
L’initiative de la Nouvelle route de la soie mise en place par la Chine, ainsi que la mise au point de la Vision 2030 de l’Arabie saoudite, ont déjà créé un réseau de plateformes de pétrole et de gaz naturel dans le Sud global, intégrées à l’expansion du port de Khalifa et aux terminaux de gaz naturel à Fujaïrah et Ruwais (dans les Émirats arabes unis). Tout indique que les BRICS10 vont commencer à coordonner leur infrastructure énergétique avec d’autres producteurs d’énergie. Par exemple, les tensions entre la Russie et l’Arabie saoudite concernant les volumes de pétrole se sont accrues en 2023 car la Russie a dépassé son quota pour essayer de compenser les sanctions occidentales dont elle a fait l’objet à cause de la guerre en Ukraine. Ces deux pays auront désormais un autre forum, en dehors de l’OPEP+ et avec la Chine autour de la table, pour construire un programme énergétique commun. Cette plateforme en expansion menace aussi de mettre à mal le système du pétrodollar, avec de nouveaux pays, comme l’Arabie saoudite, prêts à vendre du pétrole à la Chine en renminbi, ou RMB (les deux autres principaux fournisseurs de pétrole de la Chine, l’Irak et la Russie, recevant déjà des paiements en RMB).
Contrôle des systèmes mondiaux de finance et de développement
Les débats lors du sommet des BRICS, tout comme leur communiqué final, se sont concentrés sur le besoin de renforcer une architecture de finance et de développement pour le monde qui ne serait pas gouvernée par le triumvirat constitué par le FMI, Wall Street et le dollar étatsunien. Cependant, les BRICS ne cherchent pas à contourner les institutions mondiales établies de commerce et de développement comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Banque mondiale et le FMI. Par exemple, dans la déclaration concluant le sommet, les BRICS ont réaffirmé l’importance du « système commercial multilatéral réglementé avec l’Organisation mondiale du commerce en son centre » et leur appui à « un dispositif mondial de sécurité financière solide, au centre duquel se trouve un Fonds monétaire international (FMI) fondé sur les quotes-parts et doté de ressources suffisantes ».44 Leurs propositions ne constituent pas une rupture fondamentale avec le FMI ou l’OMC ; elles offrent plutôt une double feuille de route, proposant, en premier lieu, que les BRICS exercent plus de contrôle et de direction sur ces organisations, dont ils sont membres mais qui ont été soumises aux intérêts occidentaux, et, en second lieu, que les États des BRICS réalisent leurs aspirations de construction de leurs propres institutions parallèles (comme la Nouvelle banque de développement, ou NBD). Le fonds d’investissement de l’Arabie saoudite s’élève à lui seul à près d’1 billion de dollars, ce qui pourrait partiellement financer la NBD.45
Comme l’a expliqué Cyril Ramaphosa, le président des BRICS en 2023, leur programme pour améliorer « la stabilité, la fiabilité et l’équité de l’architecture financière mondiale » est principalement mis en œuvre à travers « l’usage de monnaies locales, d’accords financiers et de systèmes de paiement alternatifs ».46 Le concept de « monnaies locales » se réfère à la pratique des États consistant à utiliser leurs propres monnaies pour le commerce transfrontalier au lieu de dépendre du dollar. Bien qu’environ 150 monnaies soient reconnues comme moyens de paiement légaux dans le monde, les transactions transfrontalières dépendent presque toujours du dollar (qui, en 2021, représentait 40 % des flux du réseau de la Société de télécommunication financière interbancaire mondiale, ou SWIFT).47
D’autres devises jouent un rôle limité, notamment le RMB chinois qui représente 2,5 % des paiements transfrontaliers.48 Cependant, l’émergence des nouvelles plateformes mondiales de messagerie, comme le Système interbancaire de paiement transfrontalier de la Chine, l’Interface de paiements unifiés de l’Inde et le Système de messagerie financière de la Russie (SPFS), ainsi que des systèmes régionaux de monnaies numériques, promet un accroissement de l’utilisation de devises alternatives. Par exemple, les actifs en cryptomonnaie ont brièvement constitué une voie potentielle pour les nouveaux systèmes commerciaux avant le déclin de leur valorisation, et les BRICS10 ont récemment approuvé l’établissement d’un groupe de travail pour étudier une monnaie de référence des BRICS.
Suivant l’expansion des BRICS, la NBD a dit qu’elle aussi allait accueillir de nouveaux membres et que, comme cela est indiqué dans sa Stratégie générale 2022-2026, 30 % de l’ensemble de son financement serait en monnaies locales.49 S’inscrivant dans son cadre pour un nouveau système de développement, sa présidente, Dilma Roussef, a déclaré que la NBD ne suivrait pas la politique du FMI d’imposition de conditions aux pays emprunteurs. Roussef a ainsi dit : « Nous rejetons toute forme de conditionnalité. Souvent, les prêts sont accordés à condition de la mise en œuvre de certaines politiques. Nous ne pratiquons pas cela. Nous respectons les politiques de chaque pays ».50
L’entrée de l’Éthiopie et de l’Iran dans les BRICS10 montre l’ampleur de la réaction des États du Sud global à la politique occidentale de sanctions contre des douzaines de pays, y compris deux membres fondateurs des BRICS (la Chine et la Russie). La Chine a une longue trajectoire commerciale avec l’Éthiopie, dont la capitale, Addis-Abeba, est le siège de l’Union africaine. Inclure l’Éthiopie dans les BRICS garantit que ce grand pays (avec une population nombreuse et des terres agricoles importantes) ne retombera pas dans l’orbite occidentale.
Contrôle des institutions pour la paix et la sécurité
Dans leur communiqué, les nations des BRICS ont évoqué l’importance d’une « réforme exhaustive des Nations Unies, y compris de leur Conseil de sécurité ».51 Actuellement, le Conseil de sécurité des Nations Unies comprend quinze membres, dont cinq sont des membres permanents (la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis). Aucun pays d’Afrique ou d’Amérique latine n’est membre permanent, de même que l’Inde, le pays le plus peuplé au monde. Pour remédier à ces iniquités, les BRICS apportent leur soutien aux « aspirations légitimes des pays émergents et en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, y compris le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, à jouer un rôle plus important dans les affaires internationales ».52 Le refus de l’Occident de concéder à ces pays un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies n’a fait que renforcer leur engagement dans le processus des BRICS et amplifier leur rôle dans le G20.

Trois plateformes interrégionales majeures, encore à un stade embryonnaire, définissent le nouveau régionalisme et multilatéralisme :
- Les BRICS10 (une expansion de la formation des BRIC en 2009), qui sont principalement une puissance stratégique mais aussi économique, ont dix membres officiels et divers partenaires non officiels.
- L’Organisation de coopération de Shanghai (2001), qui s’est principalement formée autour de questions de sécurité en Asie centrale, a évolué vers des débats sur le développement et le commerce.
- Le Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations Unies (2021), qui est principalement une plateforme politique, réunit vingt États membres des Nations Unies qui font les frais de sanctions illégales des États-Unis, depuis l’Algérie jusqu’au Zimbabwe. Parmi eux, beaucoup ont participé au sommet des BRICS en tant qu’invités et souhaitent rejoindre les BRICS10 en tant que membres permanents.
Ce n’est pas un hasard si trois pays, les principales cibles des campagnes de pression du bloc impérialiste, appartiennent à ces trois organisations : la Chine, l’Iran et la Russie.
Divers défis et opportunités partagés ont émergé dans le Sud global et rapproché de nombreux pays autour du besoin d’un cadre commun de débat et de collaboration. Ces intérêts communs incluent les besoins suivants :
- Un multilatéralisme et un régionalisme axés sur la création d’une coopération ancrée dans le Sud global.
- Une nouvelle modernisation centrée sur la construction d’économies régionales et continentales qui utilisent des monnaies locales plutôt que le dollar pour le commerce et les réserves.
- Une souveraineté, qui poserait des limites à l’intervention occidentale. Cela inclut un frein aux engagements militaires et au colonialisme numérique, qui facilitent les interventions des services de renseignement des États-Unis.
- Des réparations, qui impliqueraient une négociation collective pour compenser un siècle de pièges de la dette tendus par l’Occident et l’abus du budget carbone excessif, ainsi que l’héritage bien plus long du colonialisme.
Des changements tectoniques se produisent dans le monde, accélérés par les guerres en Ukraine et l’escalade rapide du génocide en Palestine. Ces changements sont façonnés, d’une part, par la perte de puissance économique du Nord global parallèlement à sa militarisation accrue et, d’autre part, par le nouvel état d’esprit du Sud global concernant la souveraineté et le développement économique. Ce dossier constitue un exercice préliminaire, s’appuyant sur un travail de recherche et d’analyse original, pour donner un sens à ces changements et, par conséquent, au nouvel état d’esprit dans le Sud global.
Notes
1 Ministère des Affaires étrangères du Japon, conférence de presse de l’attachée de presse Ono Hirariko, 25 janvier 2023, https://www.mofa.go.jp/press/kaiken/kaiken24e_000202.html.
2 Ministère des Affaires étrangères du Japon, Diplomatic Bluebook 2023: Japanese Diplomacy and International Situation in 2022, 29 septembre 2023, https://www.mofa.go.jp/policy/other/bluebook/2023/pdf/en_index.html, i and 3.
3 Emmanuel Macron (Président de la France), « France in the World », Conférence de Munich sur la sécurité, Allemagne, 17 février 2023, https://securityconference.org/en/medialibrary/collection/munich-security-conference-2023/.
4 Saara Kuugongelwa-Amadhila (première ministre de la Namibie), Francia Márquez (vice-présidente de la Colombie), Mauro Luiz Iecker Vieira (ministre des Affaires étrangères du Brésil), Enrique Manalo (secrétaire aux Affaires étrangères des Philippines), et Christoph Heusgen (modérateur, ancien ambassadeur de l’Allemagne auprès des Nations Unies; président de la Conférence de Munich sur la sécurité), « Defending the UN Charter and the Rules-Based International Order », Conférence de Munich sur la sécurité, Allemagne, 18 février 2023, https://securityconference.org/en/medialibrary/collection/munich-security-conference-2023/.
5 BlackRock Investment Institute, 2023 Global Outlook: A New Investment Playbook (New York : BlackRock, 2 octobre 2023, https://www.blackrock.com/ca/institutional/en/literature/market-commentary/bii-2023-global-outlook-ca.pdf?switchLocale=y&siteEntryPassthrough=true, 13 ; Credit Suisse, Investment Outlook 2023: A Fundamental Reset (Zurich : Credit Suisse, 2022), https://www.credit-suisse.com/about-us-news/en/articles/news-and-expertise/investment-outlook-2023-a-fundamental-reset-202211.html#:~:text=We%20now%20expect%20the%20euro,manages%20to%20avoid%20a%20recession, 14.
6 Credit Suisse, Investment Outlook 2023, 14.
7 Flavia Krause-Jackson, Ania Nussbaum, et Kitty Donaldson, « How France Can Respond to Australia, US, UK Submarine Deal », Bloomberg, 22 septembre 2021, https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-09-22/how-france-can-respond-to-australia-u-s-u-k-submarine-deal.
8 Samir Amin, Class and Nation, Historically and in the Current Crisis (New York : Monthly Review Press, 1980), 104 ; Tricontinental, Institut de recherche sociale, Resurrecting the Concept of the Triad, newsletter n° 22, 1er juin 2023, https://thetricontinental.org/newsletterissue/triad/.
9 Michael Hudson, « America Defeats Germany for the Third Time in a Century », Counterpunch, 1er mars 2022, https://www.counterpunch.org/2022/03/01/america-defeats-germany-for-the-third-time-in-a-century/.
10 Vijay Prashad, Washington Bullets: A History of the CIA, Coups, and Assassinations (New Delhi : LeftWord Books, 2020).
11 Cependant, il est prouvé qu’en 1600, au moins 56 millions de personnes autochtones dans les Amériques étaient déjà mortes du fait de la violence coloniale et de l’introduction de pathogènes mortels ; au moins 15,5 millions d’Africains ont été capturés et vendus dans le commerce triangulaire d’esclaves ; au moins 10 millions de personnes sont mortes au Congo entre 1515 et 1865 à cause de la rapacité du colonialisme belge ; et uniquement entre 1880 et 1920 (un court moment du colonialisme britannique en Inde), au moins 165 millions d’Indiens sont morts du fait de la violence coloniale britannique. Voir Alexander Koch et al., « Earth System Impacts of the European Arrival and Great Dying in the Americas after 1492 », Quaternary Science Reviews 207 (1er mars 2019) : 13–36, https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2018.12.004 ; Steven J. Micheletti et al., « Genetic Consequences of the Transatlantic Slave Trade in the Americas », The American Journal of Human Genetics 107, n° 2 (6 août 2020) : 265–77, https://doi.org/10.1016/j.ajhg.2020.06.012 ; Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost: A Story of Greed, Terror, and Heroism in Colonial Africa, (Boston : Houghton Mifflin, 1999) ; Fritz Blackwell, « The British Impact on India, 1700–1900 », Association for Asian Studies 13, n° 2 (automne 2008), https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/the-british-impact-on-india-1700-1900/ ; et Dylan Sullivan et Jason Hickel, « Capitalism and Extreme Poverty: A Global Analysis of Real Wage, Human Height, and Mortality since the Long 16th Century », World Development 161 (janvier 2023) : 12.
12 Élaboration propre de Global South Insights à partir de données des « Indicateurs du développement dans le monde » [IDM], Banque mondiale, consulté le 20 octobre 2022, https://datatopics.worldbank.org/world-development-indicators/ ; et « Perspectives de l’économie mondiale » [PEM], Fonds monétaire international (FMI), consulté le 20 octobre 2022, https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2029/October.
13 Utsa Patnaik, « Revisiting the ’Drain‘, or Transfers from India to Britain in the Context of Global Diffusion of Capitalism », Agrarian and Other Histories – Essays for Binay Bhushan Chaudhuri, éd. Shubhra Chakrabarti et Utsa Patnaik (New Delhi : Tulika Press, 2019).
14 Jason Hickel et Dylan Sullivan, « Capitalism and Extreme Poverty: A Global Analysis of Real Wages, Human Height, and Mortality Since the Long 16th Century », World Development 161 (septembre 2023), https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2022.106026 ; Navinchandra R. Shah, « Literacy Rate in India », International Journal of Research in All Subjects in Multi Languages 1, n° 7 (octobre 2013) : 12–16, https://www.raijmr.com/ijrsml/wp-content/uploads/2017/11/IJRSML_2013_vol01_issue_07_04.pdf.
15 Jason Hickel, Dylan Sullivan, et Huzaifa Zoomkawala, « Plunder in the Post-Colonial Era: Quantifying Drain from the Global South Through Unequal Exchange, 1960–2018 », New Political Economy 26, n° 6 (2021).
16 Élaboration propre de Global South Insights à partir des PEM, FMI.
17 Tricontinental, Institut de recherche sociale, « Serve the People: The Eradication of Extreme Poverty in China », Studies on Socialist Construction 1, 23 juillet 2021, https://thetricontinental.org/studies-1-socialist-construction/.
18 Pour en savoir plus sur la guerre hybride, consultez Tricontinental, Institut de recherche sociale, Twilight: The Erosion of US Control and the Multipolar Future, dossier n° 36, 4 janvier 2021, https://thetricontinental.org/dossier-36-twilight/ et Venezuela and Hybrid Wars in Latin America, dossier n° 17, 3 juin 2019, https://thetricontinental.org/dossier-17-venezuela-and-hybrid-wars-in-latin-america/.
19 Élaboration propre de Global South Insights à partir de « Perspectives de la population mondiale 2022 », Département des affaires économiques et sociales, Nations Unies, 1er juillet 2022, https://population.un.org/wpp/ et « What are Sanctions? », SanctionsKill Campaign, septembre 2022, https://sanctionskill.org.
20 Élaboration propre de Global South Insights à partir des PEM, FMI.
21 Samir Amin, « The Challenge of Globalisation », Review of International Political Economy 3, n° 2 (été 1996) : 216–259. Voir aussi Tricontinental, Institut de recherche sociale, Globalisation and Its Alternative: An Interview with Samir Amin, cahier n° 1, 29 octobre 2018, https://thetricontinental.org/globalisation-and-its-alternative/.
22 Élaboration propre de Global South Insights à partir des PEM, FMI ; Tricontinental, Institut de recherche sociale, The World Needs a New Socialist Development Theory, dossier n° 66, 4 juillet 2023, https://thetricontinental.org/dossier-66-development-theory/.
23 Vladimir Poutine, discours à la Conférence de Munich sur la sécurité, Munich, Allemagne, 10 février 2007, http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/24034.
25 Francisco R. Rodríguez, « The Human Consequences of Economic Sanctions », Centre for Economic Policy Research, 4 mai 2023, https://cepr.net/press-release/new-report-finds-that-economic-sanctions-are-often-deadly-and-harm-peoples-living-standards-in-target-countries/ ; The Treasury Sanctions Review 2021, Département du Trésor des États-Unis, 18 octobre 2021, https://home.treasury.gov/system/files/136/Treasury-2021-sanctions-review.pdf, 2.
26 A World of Debt, Nations Unies, 12 juillet 2023, https://unctad.org/publication/world-of-debt. Pour en savoir plus sur la crise de la dette, consultez Tricontinental, Institut de recherche sociale, Life or Debt: The Stranglehold of Neocolonialism and Africa’s Search for Alternatives, dossier n° 63, 11 avril 2023, https://thetricontinental.org/dossier-63-african-debt-crisis/.
27 Jim Mattis, « Remarks by Secretary Mattis on the National Defence Strategy », Département de la Défense des États-Unis, 19 janvier 2018, https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript/Article/1420042/remarks-by-secretary-mattis-on-the-national-defense-strategy/.
28 Pour en savoir plus sur l’Ukraine, voir : Tricontinental, Institut de recherche sociale, This Is Not the Age of Certainty. We Are in the Time of Contradictions, newsletter n° 14. 7 avril 2022, https://thetricontinental.org/newsletterissue/ukraine-2/ ; Tricontinental, Institut de recherche sociale, We Are in a Period of Great Tectonic Shifts, newsletter n° 11, 17 mars 2022, https://thetricontinental.org/newsletterissue/shifting-world-order/ ; Tricontinental, Institut de recherche sociale, In These Days of Great Tension, Peace Is a Priority, newsletter n° 9, 3 mars 2022, https://thetricontinental.org/newsletterissue/ukraine/.
29 « World Military Expenditure Reaches New Record High as European Spending Surges », Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, 24 avril 2023, https://www.sipri.org/media/press-release/2023/world-military-expenditure-reaches-new-record-high-european-spending-surges.
30 Gisela Cernadas et John Bellamy Foster, « Actual US Military Spending Reached $1.53 trillion in 2022 – More than Twice Acknowledged Level: New Estimates Based on US National Accounts », Monthly Review, 1er novembre 2023, https://monthlyreview.org/2023/11/01/actual-u-s-military-spending-reached-1-53-trillion-in-2022-more-than-twice-acknowledged-level-new-estimates-based-on-u-s-national-accounts/.
31 Élaboration propre de Global South Insights d’après les chiffres ajustés de « SIPRI Military Expenditure Database », Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), consulté en octobre 2023, https://www.sipri.org/databases/milex; et Monthly Review.
32 Élaboration propre de Global South Insights d’après les chiffres ajustés de SIPRI et Monthly Review.
33 « Policy Basics: Where Do Our Federal Tax Dollars Go? », Centre on Budget and Policy Priorities, 28 septembre 2023, https://www.cbpp.org/research/policy-basics-where-do-our-federal-tax-dollars-go ; « USA’s Military Empire: A Visual Database », World BEYOND War, consulté le 27 novembre 2023, https://worldbeyondwar.org/no-bases/. Pour en savoir plus sur les bases militaires étatsuniennes, consultez Tricontinental, Institut de recherche sociale, « Defending Our Sovereignty: US Military Bases in Africa and the Future of African Unity », dossier n° 42, 5 juillet 2021, https://thetricontinental.org/dossier-42-militarisation-africa/.
34 Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives (New York : Basic Books, 1997), 55 ; 30–31.
35 « Instances of Use of United States Armed Forces Abroad, 1798–2023 », Service de recherche du Congrès des États-Unis, 7 juin 2023, https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R42738.
36 Sidita Kushi et Monica Duffy Toft, « Introducing the Military Intervention Project: A New Dataset on US Military Interventions, 1776–2019 », Journal of Conflict Resolution 67, n° 4 (2023) : 752–779. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00220027221117546?icid=int.sj-full-text.citing-articles.1.
37 The Military Balance 2023, International Institute for Security Studies, 15 février 2023, https://www.iiss.org/en/publications/the-military-balance/.
38 Jens Stoltenberg, Ursula von der Leyen, et Charles Michel, « Joint Declaration on EU-NATO Cooperation », Organisation du traité de l’Atlantique Nord, 10 janvier 2023, https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_210549.htm.
39 Élaboration propre de Global South Insights à partir des IDM, Banque mondiale, et des PEM, FMI.
40 « BRICS’ Credibility Growing as World Not Willing to Live by G7 Dogma – Brazilian Adviser », TASS, 22 août 2023, https://tass.com/world/1663753?utm_source=google.com&utm_medium=organic&utm_campaign=google.com&utm_referrer=google.com.
41 Anthony Boadle, « Brazil’s Lula Says BRICS to Pick New Members Based On Geopolitical Weight », Reuters, 25 août 2023, https://www.reuters.com/world/brazils-lula-says-brics-pick-new-members-based-geopolitical-weight-not-ideology-2023-08-24/#:~:text=%22What%20matters%20is%20not%20the,join%20BRICS%2C%22%20he%20added.
42 Sean Hill et Owen Comstock, « What Is OPEC+ and How Is It Different from OPEC? », Agence d’information sur l’énergie des États-Unis, 9 mai 2023, https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=56420#:~:text=OPEC%20and%20OPEC%2B%20countries%20combined,instability%20in%20crude%20oil%20output.
43 « Egypt: Oil Production », The Global Economy, consulté le 15 novembre 2023, https://www.theglobaleconomy.com/Egypt/oil_production/#:~:text=Oil%20production%2C%20thousand%20barrels%20per%20day&text=The%20latest%20value%20from%202022,423.53%20thousand%20Barrels%20Per%20Day.
44 BRICS and Africa: Partnership for Mutually Accelerated Growth, Sustainable Development, and Inclusive Multilateralism, Déclaration II du XV Sommet des BRICS, Johannesburg, Afrique du Sud, 23 août 2023, https://brics2023.gov.za/wp-content/uploads/2023/08/Jhb-II-Declaration-24-August-2023-1.pdf, 3.
45 Abeer Abu Omar and Vivian Nereim, « Saudi Sovereign Fund Targets $1.1 Trillion in Assets by 2025 », Bloomberg, 24 janvier 2021, https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-01-24/saudi-sovereign-fund-targets-1-1-trillion-in-assets-by-2025?leadSource=uverify%20wall ; Jiaxing Li, « Saudi’s US$700 Billion Wealth Fund Is a Fan of Alibaba, Pinduoduo, Flat Glass Stocks as Middle East-China Ties Spur New Deals », South China Morning Post, 23 juin 2023, https://www.scmp.com/business/markets/article/3224986/saudis-us700-billion-wealth-fund-fan-alibaba-pdd-flat-glass-stocks-middle-east-china-ties-spur-new.
46 Cyril Ramaphosa, conférence de presse annonçant les résultats du XV Sommet des BRICS, Johannesburg, Afrique du Sud, 24 août 2023, https://brics2023.gov.za/2023/08/24/brics-chair-president-cyril-ramaphosas-media-briefing-remarks-announcing-the-outcomes-of-the-xv-brics-summit/.
47 Hector Perez-Saiz, Longmei Zhang, et Roshan Iyer, « Currency Usage for Cross-Border Payments », IMF Working Papers 72, 24 mars 2023, https://www.elibrary.imf.org/view/journals/001/2023/072/article-A001-en.xml.
48 Perez-Saiz, Zhang, et Iyer, « Currency Usage ».
49 General Strategy for 2022–2026: Scaling up Development Finance for a Suitable Future, Nouvelle Banque de développement, consulté le 15 novembre 2023, https://www.ndb.int/about-ndb/general-strategy/.
50 Michael Scott, « BRICS Bank Strives to Reduce Reliance on the Dollar », Financial Times, 22 août 2023, https://www.ft.com/content/1c5c6890-3698-4f5d-8290-91441573338a.
51 BRICS and Africa, XV Sommet des BRICS, 2.
52 BRICS and Africa, XV Sommet des BRICS, 3.