Frew Kebede (Ethiopia), Shimutt, 2018.

Frew Kebede (Ethiopie), Shimutt, 2018.

Chers amis, chères amies,

Salutations du bureau du Tricontinental : Institut pour la recherche sociale.Le 23 juillet dernier, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a annoncé que le monde compte à ce jour 15 millions de personnes infectées par le COVID-19. La pandémie a perturbé la vie de milliards de personnes. Beaucoup sont confinées chez elles depuis des mois », a-t-il déclaré. Le traumatisme du Grand confinement est très lourd pour les personnes qui l’ont subi. « Il est tout à fait compréhensible que les gens veuillent reprendre leur vie en main », a encore expliqué le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, « Mais nous ne reviendrons pas à la soi-disant « normalité d’avant ». La pandémie a déjà changé notre façon de vivre. L’adaptation à une »nouvelle normalité » consiste en partie à trouver des moyens de vivre en toute sécurité ».

 

George Lilanga (Tanzania), Ukifka Mjini Kila Mtu Na Lake, 1970s.

George Lilanga (Tanzanie), Ukifka Mjini Kila Mtu Na Lake, 1970s.

Lors d’une conférence de presse tenue le 23 juillet à Brazzaville (République du Congo), le Dr Matshidiso Moeti, directeur régional de l’OMS pour l’Afrique, a déclaré que « l’augmentation du nombre de cas de COVID-19 en Afrique exerce une pression de plus en plus forte sur les services de santé de tout le continent ». Il y a maintenant environ 10 000 cas confirmés de COVID-19 parmi les travailleur-euse-s de la santé en Afrique. Cela a des conséquences graves pour les personnes qui travaillent dans le secteur de la santé », a déclaré le Dr Moeti. Une seule infection parmi les travailleur-euse-s de la santé est déjà une infection de trop. Les médecins, les infirmier-e-s et les autres professionnel-le-s de la santé sont nos mères, nos frères et nos sœurs. Ils/elles contribuent à sauver des vies menacées par le COVID-19. Nous devons nous assurer qu’ils/elles disposent du matériel, des compétences et des informations dont ils/elles ont besoin pour assurer leur propre sécurité, celle de leurs patient(e)s et collègues ». Les choses vont aussi mal – voire plus – ailleurs ; fin mai, deux organisations d’infirmier-e-s brésilien-ne-s (le Conseil fédéral des infirmier-e-s [CFIS] et le Conseil international des infirmier-e-s [CII]) ont annoncé que le Brésil comptait le plus grand nombre d’infirmier-e-s – des femmes pour la plupart – qui meurent à cause de COVID-19.

Les mots sincères du Dr Moeti m’ont rappelé notre dossier n° 29 (juin 2020), Health is a political choice (la santé est un choix politique). Nos chercheur-euse-s se sont entretenu(e)s avec des travailleur-euse-s de la santé en Argentine, au Brésil, en Inde et en Afrique du Sud pour connaître leurs conditions de travail et leurs éventuelles préoccupations quant à la manière dont leurs gouvernements gèrent la pandémie. Avant même que nous ne participions à COVID-19″, a déclaré Lerato Madumo, Présidente du syndicat des jeunes infirmier-e-s d’Indaba, en Afrique du Sud, « notre système de santé était déjà en difficulté. En haut de la liste de difficultés, se trouvait la pénurie d’infirmier-e-s. Nous sommes entré(e)s dans cette pandémie avec un personnel infirmier réduit ». Chacun(e) de nos interlocuteur/trice-s nous a confirmé que leur système de santé publique avait été affaibli par des coupes budgétaires, souvent imposées par les créanciers les plus riches et le Fonds monétaire international, qui exigeaient le remboursement de la dette et ne se souciaient pas que cet argent provienne des budgets de la santé publique, de l’éducation publique et de biens publics. C’est une bonne raison de se joindre à l’appel à l’annulation de la dette du monde en développement.

 

Henar Diez Villahoz (Spain), Quien sostiene la vida (Those who sustain life), 2020.

Henar Diez Villahoz (Espagne), Quien sostiene la vida/Ceux et celles qui prolongent la vie, 2020.

En avril, l’OMS – avec le Conseil international des infirmier-e-s et Nursing Noew – a publié un rapport intitulé « État des soins infirmiers dans le monde en 2020 ». Le chiffre clé de ce rapport est que le monde a un déficit de près de six millions d’infirmier-e-s. Il est surprenant de constater que 89 % de la pénurie se concentre dans les pays du Sud, « où l’augmentation du nombre d’infirmier-e-s peine à suivre la croissance démographique ». Il convient de souligner que les pressions exercées par le FMI pour maintenir les salaires du secteur public au plus bas en échange d’un allègement de la dette se traduisent par de faibles salaires pour les infirmier-e-s, dont beaucoup décident  de migrer vers des pays où les salaires sont plus élevés, créant ce que Zuhal Yeşilyurt Gündüz appelle une « fuite des soins« .

Lorsque nous parlons d’infirmier-e-s, nous parlons surtout de femmes, et nous devons ici nous concentrer sur le mépris et la discrimination. Une communication  de l’OMS, datant de mars 2019, contient une phrase qui devrait donner à réfléchir à toute la rhétorique sur l’égalité des sexes : « Les femmes représentent environ 70 % du personnel de santé, mais gagnent en moyenne 28 % de moins que les hommes ». À Tricontinental : Institut pour la recherche sociale, sous la direction de notre directrice adjointe Renata Porto Bugni, nous menons une étude approfondie de l’impact du CoronaShock sur les femmes, développée à partir de ce type d’élements. Ce rapport sera publié dans les mois qui viennent.

 

Conseil international des infirmier-e-s, I’m a nurse/ Je suis infirmier-e, 2020.

Sur la base des entretiens avec les professionnel-le-s de la santé menés par notre équipe pour le programme Health is a Political Choice (La santé est un choix politique), notre dossier a élaboré un programme en seize points pour faire changer l’ordre des priorités des systèmes de santé dans les pays capitalistes. Six d’entre eux font l’objet d’une attention particulière :

  1. Augmenter considérablement le nombre de tests COVID-19 pour les travailleur/euse-s de la santé.
  2. Protéger les travailleur/euse-s en leur fournissant des EPI et des masques de qualité supérieure, ainsi que d’autres équipements nécessaires. Les travailleur/euse-s en première ligne doivent être formé(e)s de manière adéquate pour faire face à la maladie.
  3. Débloquer immédiatement des fonds pour mettre en place des écoles de formation pour les travailleur/euse-s de la santé, y compris les médecins, les infirmier-e-s et les travailleur/euse-s de la santé publique.
  4. Augmenter les salaires des travailleur/euse-s de la santé et les payer de manière régulière.
  5. Reconnaître que les travailleur/euse-s ont le droit d’interrompre leur travail s’ils décident que celui-ci comporte un risque imminent pour leur santé ou leur vie (sur la base des conventions 155 et 187 de l’Organisation internationale du travail).
  6. Garantir l’inclusion des syndicats de travailleur/euse-s de la santé dans les comités qui formulent les stratégies politiques sur le secteur de la santé en général et sur la crise COVID-19 en particulier, et qu’ils/elles aient une voix pour aider à déterminer ces politiques.

Ce sont des revendications élémentaires, des politiques avec lesquelles toute personne censée serait d’accord, surtout après avoir vu le camouflet nfligé aux populations des états capitalistes lors de cette pandémie. L’on peut en retrouver une grande partie dans notre Ten-Point Agenda for the Global South After COVID-19 (programme en 10 points pour le Sud après le COVID-19). Nous pourrions en ajouter d’autres encore : 

       7. Faire pression sur le FMI et le Trésor américain pour qu’ils ne donnent plus les grilles des salaires du secteur public comme condition au prêt, afin que les gouvernements du Sud puissent                      indemniser correctement leurs travailleur-euse-s de la santé.

Ce sont des revendications élémentaires, des politiques avec lesquelles toute personne censée serait d’accord, surtout après avoir vu le camouflet nfligé aux populations des états capitalistes lors de cette pandémie. L’on peut en retrouver une grande partie dans notre Ten-Point Agenda for the Global South After COVID-19 (programme en 10 points pour le Sud après le COVID-19). Nous pourrions en ajouter d’autres encore : 

 

Issam El-Said (Iraq), Medinat al-Hub [City of Love], (1963).

Issam El-Said (Irak), Medinat al-Hubb/ La ville de l’amour, (1963).

En septembre 1947, un médecin de Faqus (dans le nord de l’Égypte) voit deux patients qui présentent des signes d’intoxication alimentaire ; le lendemain, deux autres patients arrivent et il leur conseille de se rendre à l’hôpital général. L’officier de santé d’Al-Qarnah (en moyenne Égypte) « était plutôt intrigué par les dix décès déclarés au cours de cette même journée », comme l’a noté plus tard un rapport de l’OMS. L’Égypte avait connu six précédentes pandémies de choléra (1817, 1831, 1846, 1863, 1883 et 1902), et, pourtant cette fois, les médecins n’étaient pas sûrs de la cause de la maladie. Le choléra s’est répandu dans tout le pays avant que « l’armée de médecins, de responsables sanitaires, de personnel infirmier et de désinfecteurs » ne puisse enrayer la chaîne d’infection ; 10 277 personnes sont mortes au cours de cette épidémie. Les rumeurs selon lesquelles le choléra aurait été introduit en Égypte par des soldats britanniques en garnison dans le pays pendant la Seconde Guerre mondiale ont été démenties par les autorités britanniques.

 

Nazik Al-Malaika

 

En Irak, Nazik al-Malaika (1923-2007) a écouté à la radio des rapports sur l’épidémie de choléra. De sa détresse est né un beau poème, Choléra (ici en arabe et en anglais par Husain Haddawy).

Calme la nuit.
Entendez l’écho languissant
qui s’élève, dans les ténèbres, sous le silence et sur les morts

le deuil déborde et s’enflamme
les langueurs s’y heurtent
Dans chaque cœur, un feu,
dans chaque baraque silencieuse, un chagrin,
et en chaque recoin, une âme pleure dans les ténèbres

Se lève l’aube.
Entendez les pas des marcheurs,
dans le silence de l’aube : crie! regarde! pleure! chevauche!
Entendez, voyez les processions de pleureurs,
dix, vingt, non… innombrables.

En chaque recoin, un cadavre pleuré
sans oraison ni minute de silence.

L’humanité se plaint des actes de Mort

S’incarnant en un sévère choléra, la Mort se venge.

Même le fossoyeur a succombé,
le muezzin est mort,
qui pourra alors faire l’éloge des morts ?

Ô Égypte, mon cœur est déchiré par les actes de Mort.

Même le fossoyeur a succombé à la maladie, de même que les agents de santé. Nos cœurs sont déchirés par les ravages de la mort, par la détresse profonde de la pandémie de coronavirus, de la pandémie de famine, de la pandémie contre l’espoir. Pourtant, même au coeur de la pénombre, le poète nous rappelle que « l’humanité proteste contre les morts criminelles ».

Chaleureusement, Vijay.

 

*Traduit de l’anglais et de l’arabe par Claire Savina